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La relance des débats sur le port du voile illustre la modification des équilibres politiques en cours en Turquie

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La lettre du YÖK (Yüksek Öğretim Kurulu – Conseil de l’enseignement supérieur), qui a demandé aux professeurs de ne pas exclure les étudiantes voilées de leurs cours, dans les universités, a ravivé une polémique qui a régulièrement tenu le devant de la scène politique, en Turquie, au cours des deux dernières décennies. Toutefois, en dépit de l’ampleur des discussions qui agitent la société turque sur le sujet, la question semble être, cette fois, entrée dans une phase de banalisation.

Il y a deux ans et demi, la révision constitutionnelle, qui avait levé l’interdiction du voile dans les universités, avait en effet commencé à être appliquée (entre mars et juin 2008) avant que la Cour constitutionnelle ne l’annule. Ce début d’application a changé la donne, et pendant l’année universitaire 2009-2010, le respect de l’interdiction en question s’est mise à dépendre largement des recteurs et du corps enseignant, certaines universités, notamment dans les plus grandes villes (Istanbul, Ankara, Izmir…), s’arcboutant sur le respect de la prohibition, d’autres au contraire pratiquant une tolérance bienveillante. Bien que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle n’ait pas été modifiée, la lettre du YÖK a ainsi ouvert la boîte aux Pandores, au moment même où l’establishment laïque vient de sortir affaibli du référendum du 12 septembre 2010. Ce référendum a consacré une révision constitutionnelle qui restructure la hiérarchie judiciaire, en particulier la Cour constitutionnelle et le HSYK (Hakimler ve Savcılar Yüksek Kurulu – Conseil des juges et des procureurs, équivalent du Conseil supérieur de la magistrature, en France), qui sont apparue au cours des 3 dernières années comme les derniers acteurs officiels du système, capables de bloquer les réformes entreprises par le gouvernement. En juin 2008, en particulier, la Cour constitutionnelle avait annulé, à une très forte majorité, les dispositions qui tendaient à autoriser le voile dans les universités.

Le désarroi du camp laïque sur le sujet est illustré par la position confuse du CHP, le parti kémaliste. Ce dernier a effectué un pas dans le sens de la conciliation, en décembre 2008, puisque son ex-leader, Deniz Baykal, avait symboliquement accroché le pin’s du parti sur le voile d’une femme, lors d’un meeting. Pour essayer de gagner des soutiens dans l’électorat populaire, au cours de l’été, avant le référendum du 12 septembre, son nouveau leader Kemal Kılıçdaroğlu n’a pas hésité, lui, à déclarer qu’il fallait régler le problème par le consensus. Cette position ne semble pas partagée par tout le monde au sein du CHP, notamment par l’aile la plus rigide du parti. En outre, le procureur général auprès de la cour de cassation, Abdurrahman Yalçınkaya, qui avait été à l’origine de la procédure de dissolution lancée contre l’AKP au printemps 2008, a mis en garde, en des termes particulièrement vifs, contre une levée de l’interdiction du voile à l’université, en déclarant :

“Autoriser l’usage du voile (dans les universités) ouvrirait une brèche dans le principe de laïcité, en fondant un arrangement public légal sur des bases religieuses”.

Au-delà de la question du port du voile dans les universités en tant que tel, d’autres événements survenus parallèlement, ces derniers jours, confirment l’importance des mutations en cours. Le gouvernement a en effet laissé entendre que des femmes voilées pourraient bientôt être admises à passer les concours qui permettent d’accéder à la fonction publique nationale. Une mesure qui anéantirait l’autre espace d’interdiction du foulard islamique, qui est celui de la Fonction publique. Le voile féminin n’a jamais été interdit de façon générale en Turquie contrairement au fez, le couvre-chef ottoman masculin. Il l’est encore juridiquement dans la fonction publique et dans les universités. L’hypothèse d’une autorisation du voile dans la fonction publique prendrait à nouveau de court le CHP, qui a déclaré récemment qu’il pourrait accepter le foulard pour les étudiantes, mais pas pour les fonctionnaires.

D’autres mouvements significatifs s’observent sur le sujet au sommet de l’Etat, un autre espace qui, au cours des dernières années, a été le lieu de controverses très dures sur le port du voile. On se souvient de l’expulsion de la députée islamiste voilée, Merve Kavakçı, du parlement turc, en 1999, ou de la querelle autour du voile de Madame Gül, qui avait précédé l’élection de son époux à la présidence de la République, en 2007. Depuis une dizaine de jours, les conflits concernant la présence du voile, lors des cérémonies qui ont lieu à Çankaya (la résidence du président de la République), pour la célébration de la fête nationale (le 29 octobre), ont rebondi. Suite à l’élection d’Abdullah Gül, en effet, la présidence de la République avait pris l’habitude d’organiser deux réceptions à Çankaya pour la fête nationale : l’une avec conjoints et l’autre sans. Ce dispositif entendait éviter de mettre la première dame qui porte le foulard, au contact des militaires et des personnalités laïques, qui ne participent qu’à la seconde réception. Or, la présidence de la République a annoncé qu’il n’y aurait cette année qu’une seule réception pour le 29 octobre. Le camp laïque a perçu cette remise en cause de «la tradition» (sic) des deux réceptions comme une banalisation de la présence du voile dans les milieux officiels. Et ce, d’autant plus qu’au début de cette semaine, le voile de Madame Gül est apparu pour la première fois (et a fait la une de la presse turque) dans les cérémonies célébrant la visite officielle en Turquie d’un chef d’Etat étranger, en l’occurrence le président allemand, Christian Wulff, et de son épouse Bettina (photo). Certes, la première dame turque avait déjà participé à ce genre d’événements, mais uniquement lorsqu’ils se déroulaient pendant les déplacements officiels de son époux, hors du territoire turc…

En dépit de l’importance de ces changements et des débats qui les ponctuent, on a plutôt le sentiment actuellement d’être dans une phase de consécration, que dans un moment de rupture véritable. Les évolutions, qui se sont produites au cours des trois dernières années en Turquie, amènent sans doute à relativiser les choses. Le «turban», qui a pris le nom plus neutre de «başörtüsü» (couvre-chef), est désormais omniprésent dans la société turque. Il se pare d’ailleurs de couleurs de plus en plus vives et peut se porter désormais avec toutes sortes de tenues, qui sont loin de respecter les canons du tesetür musulman : jeans moulant, bodies dégageant les avant-bras, jupes laissant voir les mollets… Les incertitudes les plus importantes concernent plutôt désormais l’évolution politique de la Turquie dans un contexte où les partis d’opposition paraissent très affaiblis et les derniers contre-pouvoirs institutionnels (armée, justice…), en voie de domestication. Un certain nombre de personnalités s’interrogent sur les risques de pression que peut faire courir aux étudiantes non voilées, une autorisation généralisée du foulard dans les universités. Dans un pays où le débat politique a surtout été articulé au cours des dernières années, non entre majorité et opposition parlementaire, mais entre le gouvernement majoritaire et les institutions laïcisantes (armée, justice…), l’affaiblissement de ces dernières inquiètent aussi une frange de la population, qui sans nécessairement diaboliser l’AKP, s’interroge sur une trop forte concentration du pouvoir et sur les influences qui pourraient s’exercer désormais sur l’administration publique.
JM


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